Satipatthana la voie du bonheur
Téléchargeable sur : http://dhammadana.org/livres.htm#ch----11
"J’étais atteint d’une maladie nerveuse qui empirait avec les années. Les
divers traitements que j’avais essayés ne laissaient entrevoir aucun
espoir de guérison. Les attaques devenaient plus violentes et plus
fréquentes. Après les attaques, la douleur subsistait. J’étais affecté de
tremblements, je ressentais une immense fatigue, j’avais perdu
complètement l’appétit. Seule, la prière aidait à soulager le désespoir et
le découragement profonds qui s’étaient emparés de moi.
Puis une amie m’appela au téléphone ; « Il y a en ville un moine
bouddhiste qui donne une conférence sur la souffrance et le moyen de
faire cesser la souffrance. » me dit-elle. « J’ai pensé qu’étant donné votre
état, cela vous intéresserait d’aller l’écouter. Je passe tout de suite vous
prendre avec ma voiture. Tâchez d’être prêt. » Elle raccrocha.
J’allais la remercier de m’avoir appelé et refuser poliment, mais elle ne
m’en laissa pas le temps. Sa manière brusque m’avait contrarié. En outre
l’idée même d’assister à une conférence donnée par un moine
bouddhiste me faisait un peu peur. J’étais catholique et incapable de
prendre en considération une religion autre que la mienne, le
Bouddhisme moins que tout autre. Mais mon amie arrivait, débordante
de jeunesse, de joie de vivre et d’optimisme, belle et élégante, comme
toujours : plaisant contraste avec ma morne existence. Ma résistance
fondit et je me disposai à sortir.
Nous arrivâmes tôt mais nous eûmes, néanmoins, de la difficulté à
trouver deux places côte à côte tant l’assistance était nombreuse. Le
moine bouddhiste s’avança sur la scène, et je fus impressionné par
l’harmonie de ses mouvements. Il se tint immobile quelques instants,
face au public, sans dire un mot. Il joignit ses mains aux longs doigts,
comme pour prier, et ferma les yeux. Puis il laissa tomber ses mains,
rouvrit les yeux et dit : « Le sujet de la conférence de ce soir est la
douleur et le moyen de faire cesser la douleur. » Il sourit. Bien qu’il
parlât de la douleur, son visage gardait une expression enjouée. Il
s’exprimait distinctement et avec lenteur, sa voix était vibrante et grave.
Dans sa longue robe safran, il paraissait plus grand qu’il n’était en
réalité. L’éclat brillant de ses grands yeux noisette faisait ressortir la
teinte cuivrée de sa figure. Sa tête rasée révélait le haut de son crâne qui
ressemblait à une calotte.
Pour la première fois de ma vie, j’écoutai exposer les fondements de la
doctrine bouddhiste : comment renoncer au mal, comment pratiquer le
bien, comment purifier l’esprit. Ainsi je pouvais me libérer de mes
souffrances et de mes peines, je pouvais connaître le vrai bonheur et la
vraie paix ici-bas et dans l’au-delà.
Le moine expliqua les lois qui régissent l’univers telles que le Bouddha
les a enseignées. Une action entraîne une réaction. Tout effet a une
cause. Ceci s’applique non seulement au domaine des causes physiques,
comment le démontrent nos savants aujourd’hui, mais aussi au domaine
de la morale. Chacun de nous est responsable de ce qui lui arrive. Nos
actes - kamma en pali ; Karma en sanscrit - déclenchent des résultats.
Nous naissons riches ou pauvres, beaux ou laids, et ce, en raison de nos
actions passées. Il n’existe pas de législateur divin qui juge de nos
actions ou qui décide des récompenses et des punitions. Le Bouddha n’a
pas proposé de théorie philosophique. Il s’agit d’une loi naturelle.
Chacun peut en vérifier le bien-fondé par lui-même.
Le Bouddha a expliqué que notre souffrance résulte d’actions passées
erronées, ou, plus exactement, nuisibles. Ces actions ont pu être d’ordre
mental, verbal ou physique. Chaque homme ou chaque femme est le
propre artisan de sa souffrance. Chacun de nous est lié par le résultat de
ses actes et en subit éventuellement les conséquences, plaisantes ou
déplaisantes, dans cette vie ou dans une autre.
Le corps humain détient tous les éléments qui sont à l’origine de notre
souffrance. Dans le corps humain se trouve aussi la solution de notre
problème. C’est ici que se cache le monde de la souffrance, dans notre
corps. Si nous faisons usage de notre libre arbitre en choisissant des
actions bonnes, justes, et en évitant des actions mauvaises, nous
pouvons mettre un terme à notre souffrance. Notre plus grand ennemi
est l’ignorance, l’ignorance qui reste inaccessible à l’intellect puisque le
mental fonctionne sous l’influence de cette ignorance.
Le Bouddha a enseigné comment par la méditation nous pouvons sortir
de notre ignorance. La méditation bouddhique est un entraînement
systématique de l’esprit qui mène à la purification de celui-ci. Cette
méthode révélée par le Bouddha il y a quelque 2 500 ans est toujours
enseignée dans certains centres d’Orient.
Le moine conclut son exposé en spécifiant qu’il nous avait indiqué
quelques uns des jalons marquant la voie vers le bonheur et vers la paix,
mais que nous ne devions pas confondre jalons et destination.
« Puissiez-vous tous vivre dans le bonheur et dans la paix ! », dit-il.
J’étais médusé. Je n’avais de ma vie entendu quelque chose d’aussi
encourageant. Le Bouddha n’était pas une sorte d’Entité vivant là-haut
dans les cieux. On ne me demandait pas de croire ou d’avoir foi en lui.
Le moine n’avait même pas parlé de prier le Bouddha. On me disait de
ne dépendre que de moi-même. Le Bouddha avait montré la voie, mais il
ne pouvait pas faire le travail à ma place.
La méditation bouddhique, la méditation bouddhique, il fallait que j’en
sache davantage sur la méditation bouddhique. Je sentais que la
solution à mon problème se trouvait là. La loi universelle de cause à effet
fut pour moi une révélation. L’élément de justice que cette loi impliquait me
redonna espoir. Je tenais dans mes mains la possibilité d’une existence
nouvelle et d’un nouvel avenir. Tout dépendait de moi. « On ne peut
attendre de Dieu qu’il garde les chevaux dans le pré lorsque la barrière
est brisée », disait un vieux paysan alsacien qui réparait la barrière de
son champ au prêtre qui passait par là.
Avec lenteur, je me levai péniblement de mon siège pour aller saluer le
moine. Je lui parlai de ma souffrance. Il m’écouta avec attention puis il
me suggéra de commencer aussitôt la pratique de la méditation. Sans
que j’ai eu à le lui demander, il me décrivit les premiers pas à suivre : je
devrai me lever à l’aube, tous les matins, m’asseoir sur une chaise face à
l’est, le plus confortablement possible. Ensuite, je devrai diriger mon
attention sur la pointe de mon nez en observant le va-et-vient de l’air
dans mes narines. Je ne devrai pas perturber le rythme naturel de la
respiration du corps. La respiration était simplement l’objet de ma
concentration. Compter mes respirations pouvait m’aider si l’attention
se relâchait.
C’était tout.
Je n’en crus pas mes oreilles. Parlait-il sérieusement ? Je lui demandai
de répéter ses instructions. Il m’indiqua la même procédure. Comment
cela était-il possible ? Pensai-je. J’avais toujours cru que la méditation
était quelque chose de spirituel, de religieux. Se concentrer sur la
respiration à la pointe de son nez n’avait vraiment rien de spirituel.
Comment un exercice aussi enfantin pouvait-il entraîner la cessation de
la douleur ? J’étais extrêmement déçu. Tout le bel enthousiasme que
j’avais ressenti au cours de l’exposé s’évanouit. Je fis semblant d’avoir
compris les instructions, je remerciai le moine et je partis ? Chez moi, la
nuit, je me sentis plus déprimé et plus découragé que jamais.
Le lendemain matin, à mon grand étonnement, je m’éveillai à l’aube ! Je
N’avais jamais été un lève-tôt même avant de tomber malade. Malgré la
douleur dans mon dos, je sortis du lit, me demandant bien ce qui me
faisait agir ainsi. J’installai des oreillers moelleux dans un fauteuil
confortable et je m’assis face à l’est. Je fermai les yeux et me concentrai
sur la respiration à la pointe de mon nez. J’étais convaincu qu’il ne
sortirait rien de tout cela.
Je sentis distinctement sur les muqueuses l’air frais du matin qui
pénétrait dans mes narines... dehors... dedans... dehors... Je m’aperçus
soudain que je dormais éveillé. Beaucoup de temps s’était écoulé. À un
moment donné mes pensées vagabondes s’étaient emparées de mon
esprit. J’avais complètement oublié ce que j’étais en train de faire. Je me
rappelais clairement les trois ou quatre premières respirations, mais à
partir de là, j’étais resté longtemps tout à fait inconscient. Je ne gardais
aucun souvenir du temps qui s’était passé. Est-ce que j’avais dormi ?
Non, de cela j’étais sûr. C’était vraiment étrange.
Incroyable. J’avais toujours cru que c’était moi qui dirigeais mes pensées
lorsque j’étais éveillé. Je découvris pourtant qu’elles surgissaient dans
mon esprit de leur propre chef, contre ma volonté même, comme des
rêves pendant mon sommeil. Je décidai d’essayer de nouveau. Cette fois,
je ne me laisserai pas distraire de la pointe de mon nez. Je voulais être
pleinement conscient de la respiration. Malgré ma ferme résolution, je
voguai encore dans un océan de pensées. J’étais abasourdi. Je consultai
ma montre : 4 h 15. J’étais assis depuis quinze minutes. La douleur dans
mon dos était lancinante et je dus me recoucher. Je ne réussis pas à
trouver le sommeil. Je pensai au moine et je fus honteux du jugement
irrévérencieux que j’avais porté sur lui la nuit dernière. Ses directives
n’étaient pas aussi faciles à suivre que je l’aurai cru. Je n’avais aucun
contrôle sur mon esprit agité. Je n’en n’avais pas eu conscience jusqu’à
ce jour. Le souvenir d’un homme que je connaissais et qui était affligé
d’un tic nerveux, incontrôlable de la tête, me revint en mémoire. C’était
un horrible spectacle. Je réalisai alors qu’en ce qui concernait mes
pensées, une absence de contrôle comparable à la sienne existait dans
mon esprit. C’est peut-être lorsque le mental échappe à notre contrôle
que la folie se manifeste. Je crois que c’est cette pensée désagréable qui
m’aiguillonna. En tout cas, le lendemain matin, j’étais à nouveau dans
mon fauteuil. Et le matin suivant. Ainsi pendant une semaine environ,
jusqu’à ce que j’enregistre quelque progrès sensible."
(…)